IdéologieVie du MouvementLettre Ouverte du Pr Daniel Mengara à l’Honorable Geoffroy Foumboula Libeka et autres feudataires du Roi Incompétent : de Grâce, Honorable, Arrêtez !

27 septembre 2024by Congrès Citoyen0

LETTRE OUVERTE DU Pr DANIEL MENGARA À L’HONORABLE GEOFFROY FOUMBOULA LIBEKA ET AUTRES FEUDATAIRES DU ROI INCOMPÉTENT : DE GRÂCE, HONORABLE, ARRÊTEZ !


NOTE: Ce document est également disponible sous forme de PDF, ici: LETTRE_OUVERTE_DU_Pr_DANIEL_MENGARA_A_HONORABLE_GEOFFROY_FOUMBOULA.pdf


 

Honorable, Honorable, Honorable !

En interpellant trois fois votre titre, et donc votre qualité de député de la Transition, je fais néanmoins indubitablement écho ici, également, au roman de Mariama Bâ, dont le titre est, par la plus fortuite des coïncidences, « Une si longue lettre ».

Ma lettre ne sera cependant pas aussi longue qu’un roman. Elle sera néanmoins suffisamment longue pour être utile aux Gabonais et Gabonaises qui ont le plus grand besoin d’éclairage, surtout au moment où on leur sert l’obscurantisme pour, par la suite, leur demander de voter leur propre mort lors d’un référendum monarchisant dont les résultats sont, on le sait déjà, pipés d’avance. Il me semble que vous soyez, hélas, en train de vous faire aujourd’hui le complice, parmi tant d’autres, de cette mort.

J’implore donc votre patience, et celle des lecteurs qui tomberont sur cet appel au patriotisme, en espérant que vous irez, tous, au bout de ma si longue lettre…

Je vous interpelle aussi en tant que citoyen lambda demandant des comptes à un député, fût-il nommé, transitionnel et, donc, non élu. Dès lors que vous occupez cette fonction à valeur régalienne et moi celle de simple citoyen outré et inquiet, je ne fais ici qu’user de mon droit de vous interpeller, tout en espérant que votre sacerdoce, à ce poste, pourra connaître la mue patriotique, et mentale, qui vous permettra de l’ancrer résolument, désormais, sur la défense des droits des peuples et non plus, comme vous semblez le faire en ce moment, et depuis un moment, sur la promotion kounabéliste des intérêts d’un seul homme et de son régime, au détriment de ceux de la Nation.

Mais au travers de vous, Honorable, j’interpelle également, enfin, tous ceux qui comme vous s’activent en ce moment à semer l’obscurantisme et à entretenir volontairement des amalgames malhonnêtes et malintentionnés, au profit du nouveau régime de la mangeoire en construction.

Mais laissez-moi d’abord, Honorable, vous dire quelques mots sur ce chef d’œuvre de Mariama Bâ, ci-dessus évoqué.

Ce qui frappe d’abord, dans ce roman de Mariama Bâ, c’est l’interpellation que Ramatoulaye, la narratrice, fait à son amie Aïssatou au moment où elle lui annonce le décès de son mari, Modou Fall. Dès l’entame du roman, Ramatoulaye lance : « Amie, amie, amie ! Je t’appelle trois fois. Hier tu as divorcé. Aujourd’hui, je suis veuve. Modou est mort ».

Plus tard, Ramatoulaye se pose une question qu’elle reprendra par la suite en refrain dans d’autres parties du roman : « Folie ? Veulerie ? Amour irrésistible ? Quel bouleversement intérieur a égaré la conduite de Modou Fall pour épouser Binetou ? »

C’est dans ce même registre d’idées, Honorable Geoffroy Foumboula Libeka, que, du bas de mon statut de simple citoyen lambda s’adressant à un député supposé servir les intérêts du peuple, je me permets de vous interpeller en disant : « Honorable, Honorable, Honorable ! Folie ou veulerie ? Amour irrésistible de l’argent ou des honneurs ? Quel bouleversement intérieur a égaré votre conduite au point de vous pousser à épouser ainsi, aujourd’hui, des idées qui vous furent pourtant encore anathèmes il y a à peine une petite année ? »

Autrement dit, Honorable, qu’est-ce qui peut expliquer qu’un homme puisse changer aussi vite, aussi radicalement, et que, de défenseur invétéré des droits citoyens qu’il fut, du moins en apparence, il passât sans sourciller au statut de complice des fossoyeurs de ces mêmes droits, au point aujourd’hui de passer son temps à justifier, excuser, puis appeler toute une nation à accepter, ce fossoyage ? Qu’est-ce qui peut expliquer que cet homme, à l’heure des essors vers des honneurs perdus et des félicités devenues illusoires, s’obstine à vendre désormais avec zèle au peuple les mêmes obscurantismes qu’hier encore il semblait tenir en opprobre, lui qui invectiva jadis tant Madeleine Mborantsuo qu’Alain Claude Billie-by-Nzé sur les mêmes travers de gouvernance qui, aujourd’hui, curieusement, ne semblent plus le déranger ?

Est-il possible, sans pour autant risquer de tomber dans la médisance gratuite, que, n’ayant jamais vu la couleur de ce que pouvait représenter un million de francs CFA de salaire, ce million et les honneurs qui vont avec aient pu, à vous et à tant d’autres, tourner la tête, au point de vous faire abandonner, si vite, si violemment, ce que beaucoup, dont moi, crurent il y a encore un an voir en vous, et en tant d’autres nommés à la mangeoire, comme le profilement des valeurs républicaines qui élèvent les nations, et non point les hommes ?

Honorable, Honorable, Honorable ! Je vous interpelle . . . trois fois !

Regardez vous-même, Honorable, dans le miroir aux introspections que je vous offre, ce que vous êtes devenu, notamment en ce qui concerne vos récentes positions, excessivement mésinformées, sur :

1) l’emploi des jeunes, question sur laquelle vous semblez avoir des opinions bizarres, incohérentes et surprenantes qui sont en contradiction avec votre propre vécu (j’y reviens ci-dessous) ;

2) l’opportunité des recours devant la Cour constitutionnelle, dont vous semblez, curieusement, en tant que député de la Transition, ne pas maîtriser les processus (j’en offre analyse ci-dessous) ;

3) ce que c’est qu’une Assemblée constituante, et votre maladroite tentative de justifier la honte nationale qu’a été, au final, l’« Assemblée constituante » sans pouvoirs de constituance qui défraie actuellement la chronique au Gabon (j’y reviens ci-dessous)

4) et le système politique américain, que vos collègues et vous-même utilisez à tort et à travers ces derniers temps pour justifier votre adhésion au système de dictature actuellement en construction au Gabon (j’en offre éclairage, ci-dessous).

En vous fourvoyant si lamentablement sur ces questions, parfois au point de l’entêtement, vous semez, consciemment ou inconsciemment, une désinformation dangereuse pour le pays. Et cela a tendance à faire de vous, dans la même foulée, un homme dangereux. Pour ce pays.

Le citoyen que je suis y trouve une certaine indécence, qui a besoin que quelqu’un vous interpellât, sur ces questions, en vue de mieux éclairer l’opinion publique sur les vrais enjeux de notre fragile république en pleine reformulation.

Voici, Honorable, les forfaits à l’encontre du peuple dont vous vous êtes rendu coupable, à mes yeux :

 SUR LA QUESTION DE L’EMPLOI DES JEUNES

Sans que quiconque vous l’eût demandé, vous sortîtes vous-même il y a quelques mois, Honorable, de vos retranchements de député de la Transition, pour venir déclarer sur la place publique que si les jeunes Gabonais sont au chômage, c’est essentiellement leur faute, car, à vos yeux, ils n’avaient qu’à faire comme vous le fîtes jadis, c’est-à-dire vendre des croquettes au bord de la route, pour se sortir du chômage. C’est ce que représentait apparemment, à vos yeux, la notion de « création d’entreprises » ou d’« entreprenariat des jeunes ».

Vous vîtes vous-même à cette époque que cet entendement que vous aviez de la notion d’entreprenariat fut rapidement accueilli par le tollé réprobateur des gens qui avaient pris le soin de vous rappeler à l’ordre. Beaucoup allèrent même jusqu’à vous demander de faire le bilan de vos ventes de croquettes et de montrer combien ces ventes de croquettes vous ont rapporté par mois, combien de bouches familiales elles vous ont permis de nourrir et, surtout, combien d’emplois directs et indirects ces ventes vous ont permis de créer au Gabon en tant qu’entrepreneur.

Ce que vos contradicteurs essayaient de vous faire comprendre, Honorable, est que la notion d’entreprenariat ne saurait se limiter à la seule idée de vendre des croquettes au bord de la route. Ce que vous fîtes-là s’appelle, en réalité, « galère ». Dans le Gabon qui est nôtre, nous méritons plus que cette galère-là ; nous méritons aussi de vraies créations d’entreprises découlant d’une vision de la gouvernance au Gabon qui ne laisserait pas une telle finalité au seul hasard des Gabonais vendant des croquettes au bord de la route. Dans les pays qui se respectent, l’État crée les conditions d’encadrement et de permissivité qui permettraient, par exemple, à un vendeur de croquettes d’industrialiser cette pratique et, ceci faisant, de créer des emplois directs et indirects. Les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, le Japon et l’Allemagne ne sont pas devenus des pays capitalistes dominants en abandonnant les vendeurs de croquettes à eux-mêmes.

La preuve : vos ventes de croquettes ne semblent pas vous avoir réussi, malgré la volonté, je crois, que vous y aviez mise. Vous avez vous-même fini par fuir la vente des croquettes pour aller vous suspendre au biberon salarial de l’État transitionnel, montrant ainsi, en fin de compte, que même à vous, la vente des croquettes au bord de la route n’a pas suffi. Et que l’idée que vous vous fîtes de l’entrepreneuriat des jeunes n’est ni crédible ni viable dans le long terme.

Car, voyez-vous, se présenter au peuple comme un entrepreneur ayant réussi son entreprenariat n’est pas juste une question de balancer ici et là des mots vides. C’est aussi une question de cohérence : on a du mal à imaginer quelqu’un ayant véritablement réussi dans le domaine de l’entreprenariat abandonner tous ses milliards de CFA pour aller, comme vous le faites, se contenter du salaire de misère d’un député. Ce n’est pas cohérent.

C’est cela que l’on appelle obscurantisme, Honorable.

Et il me semble, hélas, Honorable, que depuis que vous vous êtes accroché au million de salaire que l’on vous donne dans cette Assemblée de nommés se présentant de plus en plus comme des Gabonais ayant tous vendu leurs âmes au diable, vous vous êtes perdu quelque part. Alors permettez-moi de réitérer ma question : « Honorable, Honorable, Honorable ! Folie ou veulerie ? Amour irrésistible de l’argent ou des honneurs ? Quel bouleversement intérieur a égaré votre conduite au point de vous pousser à épouser ainsi, aujourd’hui, des idées qui vous furent pourtant encore anathèmes il y a à peine une petite année ? »

Continuons.

SUR LA QUESTION DES RECOURS DEVANT LA COUR CONSTITUTIONNELLE

Honorable, Honorable, Honorable !

Qu’est-ce qui fait que, depuis que vous vous êtes retrouvé nommé député à l’Assemblée nationale de la Transition, vous sembliez vous être recyclé dans la défense de l’indéfendable ? Nombreux furent en effet étonnés de vous voir affirmer, dans un post du 23 août dernier sur votre page Facebook, qu’« Une loi s’attaque avant publication et un texte réglementaire (décret, arrêté) après publication. En dehors, cela peut être pris pour de la comédie juridique ». Vous sembliez ainsi vous attaquer au recours que notre mouvement, le Congrès des Citoyens Libres, avait déposé à la Cour constitutionnelle de la Transition deux jours auparavant, demandant invalidation de la désignation du général de brigade Brice Clotaire Oligui Nguema au poste de président de la Transition pour violation des articles 35 et 38 de la Charte de la Transition.

Il fut une époque, Honorable, où vous auriez soutenu une telle initiative, à défaut d’en être vous-même l’initiateur. Mais quel bouleversement intérieur a égaré votre conduite, votre cœur, vos convictions, au point de maintenant vous pousser à vouloir, désormais, décourager, sous le CTRI et le général Oligui, des initiatives citoyennes pourtant similaires à celles qui vous firent connaître du grand public, sous les Bongo ?

Je crois vous avoir répondu sur votre post du 23 août 2024, très simplement, que vous vous trompiez, Honorable. Non seulement parce qu’en matière de constitutionalité, il n’existe de lois qui ne soient attaquables, mais aussi parce que, en réalité, les lois peuvent s’attaquer de plusieurs manières en fonction des étapes par lesquelles elles passent.

Il y a d’abord, en premier lieu, le contrôle a priori, qui concerne généralement les débats qui entourent une loi au moment où elle n’est encore qu’un projet. A ce niveau, ce sont généralement les parlementaires qui ont faculté et prérogative, lors des débats qui leur sont idoines au parlement, de remettre en cause les propositions de lois, avant leur promulgation. A ce niveau, le citoyen lambda n’a encore, en dehors des manifestations de rue qui anticipent sur ce qui arrive, aucun pouvoir de recours juridique vu que la Cour constitutionnelle ne peut juger que de ce qui est, et non point de ce qui n’est pas encore.

Il y a ensuite le contrôle a posteriori des lois qui, quant à lui, ouvre la voie du recours aux citoyens lambda. La pratique, au Gabon tout comme en France, a souvent été qu’une loi promulguée par le Président de la République ne devient opposable ou attaquable qu’après publication au Journal Officiel. Ou, dans certains cas, dans le petit espace qu’il peut y avoir entre la promulgation d’une loi par le président de la République et sa publication au Journal Officiel. Sauf que, au Gabon, il y a souvent, comme on l’a vu avec la Charte du 4, puis du 6 septembre 2023, une malhonnête et secrétive simultanéité entre la promulgation par le président et la publication au Journal Officiel, ce qui rend souvent impossible toute possibilité pour le citoyen de s’attaquer à une loi promulguée avant sa publication au Journal Officiel. Dès lors, dans notre système judiciaire, ce sera souvent, au final, la publication d’une loi au Journal Officiel qui rendra, à partir de là, son texte attaquable par le citoyen lambda, à cause du manque de transparence et de la tendance de nos gouvernants à tricher et à mettre la nation sur le fait accompli de lois simultanément promulguées et publiées en catimini, en pleine nuit, comme des voleurs.

Vous semblez également, Honorable, bizarrement, mais aussi faussement, avoir réduit le champ de l’irrecevabilité des recours au seul critère de temporalité (à quel moment une loi peut être remise en cause), alors même que, en réalité, la recevabilité ou l’irrecevabilité d’un recours par la Cour constitutionnelle peut se construire, aussi, sur d’autres critères, tels, par exemple, la forme (avoir omis de joindre telle ou telle pièce justificatrice au dossier de recours par exemple).

Mais, hélas, malgré les remarques correctives faites à votre encontre ici et là par des citoyens lambda comme moi vous rappelant à l’ordre et vous invitant à corriger votre énormité, vous vous êtes entêté à affirmer qu’une loi ne pouvait s’attaquer dans votre République bananière de Transition qu’avant promulgation et, donc, que toute tentative de le faire après promulgation deviendrait de la comédie juridique.

Sauf que la personne jouant la comédie ici était devenue vous-même, non seulement par l’incroyable ignorance des procédures législatives que vous affichiez si publiquement, mais aussi par l’entêtement que vous montriez en continuant à soutenir, comme dans une discussion de bar, et par de surprenantes contorsions et acrobaties, des choses erronées que, pourtant, la législation gabonaise actuelle contredit et ne cesse de contredire.

A ce titre, vous semblez n’avoir même pas pris la peine de véritablement consulter la pratique gabonaise, même en période de Transition, où il existe pourtant une Cour constitutionnelle de la Transition que certains citoyens ont déjà pu interroger depuis le 4 septembre 2023 sans que celle-ci ne leur oppose comme argument d’irrecevabilité le fait qu’une loi ne puisse être remise en cause après promulgation.

À quoi donc, dois-je vous demander, servirait une Cour constitutionnelle si son rôle n’était plus, précisément, d’interroger, grâce aux interpellations citoyennes et autres, la conformité des lois à la Constitution ?

Si je comprends bien votre logique, Honorable, vous sembliez baser votre compréhension des lois sur le fait que parce qu’une Cour constitutionnelle aurait été consultée avant promulgation, elle avait nécessairement fait le travail de vérification qui assurerait que les lois promulguées seraient inattaquables. Vous avez ainsi erré, peut-être par naïveté ou veulerie, en oubliant qu’une Cour constitutionnelle comme la nôtre peut facilement devenir un instrument politique et que, à partir de là, elle peut ne plus librement jouer son rôle d’interprète du droit. Il y a aussi le fait qu’avoir une Cour constitutionnelle ne veut pas dire que tous ses juges sont de grands experts du droit des constitutions.

En réalité, on n’attend pas d’un juge constitutionnel qu’il soit le plus grand expert de droit au monde ou dans le pays. Ce qu’on attend de lui c’est l’humilité, donc l’ouverture d’esprit, qui lui ferait reconnaître qu’il peut se tromper, que parfois des lois sont promulguées que tout le monde dans une certaine génération peut faussement croire conformes à la Constitution, mais qu’il peut arriver qu’un citoyen lambda ou un juriste d’une autre génération fasse démonstration des incohérences dans la loi qui demanderaient réparation immédiate. Le juge constitutionnel se doit alors, quand une remise en cause juridiquement prouvée survient dans le contexte d’un État de droit, de réparer cette incohérence ou cette anomalie. C’est précisément cette capacité à remettre en cause des lois existantes qui justifie l’existence d’une Cour constitutionnelle. Et c’est ce qui explique la constante remise en question des anciennes lois dans les grandes démocraties.

Mais pour que nul n’en ignore, Honorable, permettez-moi de présenter ici aux lecteurs certains des textes fondamentaux qui encadrent non seulement la recevabilité des recours devant la Cour constitutionnelle en République gabonaise, mais aussi les interventions citoyennes auprès, même, de la Cour constitutionnelle de la Transition que vous sembliez curieusement, dans vos intempestives affirmations, juger incompétente pour se prononcer sur la constitutionalité des lois promulguées.

Commençons par L’article 53 de la Charte de la Transition, qui établit clairement que « La Cour Constitutionnelle de la Transition contrôle la conformité à la présente Charte et à la Constitution du 26 mars 1991 des actes législatifs et réglementaires pris par les organes de la Transition ». L’article 85 de la Constitution du 26 mars 1991 sur laquelle la Charte de la Transition prend copieusement appui en plusieurs de ses articles avance, quant à lui, que « Les autres catégories de lois ainsi que les actes réglementaires peuvent être déférés à la Cour constitutionnelle, soit par le président de la République, soit par le Premier ministre, soit par le président de l’Assemblée nationale ou un dixième des députés, soit par le président de la Cour suprême, soit PAR TOUT CITOYEN ou toute personne morale lésée par la loi ou l’acte querellé ».

Cette disposition est réaffirmée à l’article 36 de la loi organique sur la Cour Constitutionnelle. Fait notable, Honorable, ni la Charte de la Transition ni la Constitution du 26 mars 1991 n’opposent aucune limite ni délai quant à quel moment le citoyen lésé peut saisir la Cour constitutionnelle. Et l’article 86 de la Constitution du 26 mars 1991 vient boucler la boucle en établissant que « Tout justiciable peut, à l’occasion d’un procès devant un tribunal ordinaire, soulever une exception d’inconstitutionnalité à l’encontre d’une loi ou d’un acte qui méconnaitrait ses droits fondamentaux », ce qui veut dire, implicitement et explicitement, que le citoyen conserve la capacité de saisir à tout moment la Cour Constitutionnelle pour questionner la constitutionnalité des lois promulguées et devenues opposables non seulement dès leur publication au Journal Officiel, mais aussi à n’importe quelle période suivant leur publication. Les questions de constitutionnalité, sur cette base, ne connaissent aucune limite et ne sont donc pas à confondre avec les délais de prescription en matière civile ou pénale, puisqu’il s’agit ici, au final, de « questions prioritaires de constitutionnalité » qui touchent aux fondamentaux que sont les « droits et libertés que la Constitution garantit ».

Il s’ensuit ainsi, Honorable, que les citoyens lambda gabonais que nous sommes sont bel et bien habilités, lorsque que lésés, à déférer, même à la Cour Constitutionnelle de la Transition, les faits, lois et procédures que, par exemple, nous avions querellés en déposant un recours demandant invalidation de la désignation du général de brigade Brice Clotaire Oligui Nguema au poste de président de la Transition pour violation des articles 35 et 38 de la Charte de la Transition, sur laquelle il a prêté serment pour officialiser, illégalement, sa qualité de président de la Transition.

Il n’y avait rien de comique, là-dedans.

La preuve : la Cour constitutionnelle de la Transition n’a pas jugé irrecevable notre recours sur la base de vos critères de temporalité des lois. Notre « Tour de Pise » bien gabonaise a jugé irrecevable notre plainte pour les motifs politiques habituels, c’est-à-dire les mêmes qui, sous les Bongo, ont fait que Madeleine Mborantsuo protège les intérêts du clan, de la même façon que le président actuel de la Cour constitutionnelle de la Transition, Dieudonné Aba’ Owono, protège les intérêts de son cousin Brice Clotaire Oligui Nguema (« frère » si l’on veut rester dans la culture africaine).

Autrement dit, Honorable, nous avons au Gabon une Cour constitutionnelle de la Transition mise en place, non pas pour veiller aux intérêts de la Nation, mais bel et bien pour protéger les intérêts du régime Oligui, votre régime, que vous semblez apparemment défendre désormais, becs et ongles, jusqu’à l’incohérence.

SUR LA DÉFINITION D’UNE « ASSEMBLÉE CONSTITUANTE »

Vous vous êtes encore, Honorable, illustré récemment par une définition des plus abracadabrantes de ce que c’est qu’une « Assemblée constituante ». Vous avez ainsi affirmé, dans un post sur votre page (le 14 septembre 2024), que « L’Assemblée Constituante (La Constituante) n’est pas une Assemblée Législative (Le Parlement). L’Assemblée Constituante n’a pas pour mission de légiférer (adopter la Constitution) mais logiquement de rédiger le projet de Constitution. La compétence de légiférer, donc voter est dévolue à une Assemblée Législative. D’ailleurs, pendant toute la période de la Constituante, l’Assemblée Législative (le Parlement) suspend momentanément ses travaux législatifs ».

Non, non et non, Honorable.

Vous offrez-là une définition spécieuse, et très malhonnête, de ce que doit ou peut être une « Assemblée constituante ». Quoiqu’une Assemblée constituante puisse, en réalité, être ce que l’on veut qu’elle soit, elle ne peut néanmoins manquer d’être, au minimum, constituante (mandatée pour rédiger, elle-même, ou modifier, la constitution) et dès lors qu’elle serait constituante, elle aurait, automatiquement, pouvoir législatif si, dans sa mission, on incluait la capacité d’adopter, par un vote législatif, la nouvelle loi fondamentale. Ne confondez donc pas la bouillabaisse que vous faites au Gabon avec les principes de droit qui se pratiquent ailleurs. En réalité, une Assemblée constituante peut tout à la fois être légiférante (législative) et constituante (rédaction de la constitution), avec en sus la capacité d’adopter par un vote la nouvelle constitution écrite par elle-même, si on lui en donne mandat. En cela, elle reflète la volonté démocratique, ou non, de ses commanditaires.

Par exemple, bien qu’elle n’ait jamais joui de caractère souverain, la Conférence nationale de 1990 a bel et bien fini par fonctionner comme une « Assemblée constituante » des délégués auto-sélectionnés qui furent chargés de rédiger de fond en comble la nouvelle constitution du Gabon, celle connue aujourd’hui comme la Constitution du 26 mars 1991, que le CTRI cite d’ailleurs abondamment comme soubassement de sa Charte transitionnelle.

Mais il y a des pays qui, dans la majorité des cas connus, et pour des raisons de légitimité et de mandat populaire, ont fait le choix de procéder, non pas à la simple nomination des députés constituants, mais à leur élection en bonne et due forme, comme ce fut le cas en France en 1945 et 1946, avec pour mandat de rédiger, entièrement, le nouveau projet de constitution à soumettre au peuple tout en conservant un pouvoir législatif. La majorité des pays ayant eu des constituantes ont d’ailleurs, souvent, préféré des assemblées constituantes élues plutôt que nommées, et ces assemblées ont généralement eu pouvoir constituant en même temps que pouvoir légiférant, vu qu’il est souvent difficile de séparer les deux fonctions, et souvent trop coûteux et confus de gérer un pays avec deux assemblées parallèles.

Le problème avec votre « Assemblée constituante » gabonaise est que l’on vous a affublé du titre d’Assemblée constituante alors même que, dans le même temps, on vous a retiré le pouvoir constituant. Vous n’êtes ainsi ni constituants ni légiférants, ce qui fait de vous une coquille vide parce que, en fin de compte, l’objectif n’a jamais été de vous charger de rédiger la Constitution, mais plutôt de faire de vous de simples faire-valoir devenus volontairement complices de la forfaiture actuellement organisée contre le Gabon par le CTRI et le général Oligui, en échange des salaires et des honneurs de la honte vous distribués par la mangeoire oliguienne.

Et vous avez non seulement accepté sans broncher cet état de fait, vous avez aussi accepté de jouer le jeu et, même, maintenant, de défendre l’indéfendable. Combien d’entre vous, par exemple, se sont levés pour dire que cette mascarade par laquelle on vous appelle « assemblée constituante » sans vous donner le pouvoir de rédiger la constitution était contraire à l’esprit de constituance qui doit aller avec, et que vous ne pouviez accepter de servir de simples faire-valoir à un processus monarchisant commandité depuis la présidence ? Combien ont démissionné en signe de protestation ? Vos petites esquisses de récriminations molles, où vous faites semblant de protester sans pour autant vous prononcer clairement ou démissionner, ne tromperont personne. Vous êtes dans la mangeoire et vous vous y complaisez.

Mais là où vous vous trompez également, Honorable, c’est sur votre compréhension du pouvoir de légiférer d’une Assemblée constituante. En réalité, en écrivant une constitution, puis en l’adoptant, une Assemblée constituante ne peut, en fait, que légiférer. Le pouvoir de constituer devient ainsi, automatiquement, le pouvoir de légiférer. Dès lors, quand on demande à une telle Assemblée d’écrire puis d’adopter une nouvelle loi fondamentale avant, par exemple, de la soumettre au peuple pour approbation référendaire, ce que le peuple adopte n’est rien d’autre que la législation fondamentale sortie de l’Assemblée constituante, législation qui, dans ce cas, donne naissance à un nouvel État. Il n’y a pas plus grand pouvoir de légiférer que celui-là.

Sauf que, au Gabon, vous faites toujours les choses pour tromper, biaiser, tricher. On vous a dit, anachroniquement, que vous n’avez ni le droit de légiférer ni le droit d’écrire. On vous a également dit que vous ne pourrez pas amender, non plus. Vous n’êtes donc pas, par définition, une Assemblée constituante. Si vous étiez comme nos aînés de 1990, vous vous seriez tous révoltés contre cette ignominie pour réclamer, sous peine de démission collective, un pouvoir constituant qui, de ce fait, aurait inclus le pouvoir à la fois d’écrire et d’adopter, mais, aussi, de légiférer.

C’est du moins ce que le général de Gaulle fit en 1945 quand il demanda aux Français de donner un pouvoir constituant à la nouvelle Assemblée législative. La question leur posée au référendum fut la suivante : « Voulez-vous que l’Assemblée Nationale, élue ce jour, soit constituante ? » Le résultat fut une Assemblée constituante dont le pouvoir constituant et légiférant fut entier, et non soumis à l’intervention du gouvernement. Et quand les Français rejetèrent le projet de constitution initial le 5 mai 1946, déclenchant ainsi une nouvelle élection pour une nouvelle assemblée constituante le 2 juin 1946, il devint clair que, en France, les parlementaires qui instituèrent la IVe République ne se couchèrent pas comme des moutons devant un général de Gaulle aux tendances autoritaires. Pour eux, ce n’est pas parce que le général de Gaulle avait sauvé la France qu’il pouvait se permettre de venir, comme ça, imposer aux Français sa vision autoritaire, et présidentialiste, de l’État.

Au final, c’est le général de Gaulle qui dût démissionner de la tête du Gouvernement Provisoire de la République française (GPRF) le 20 janvier 1946 après avoir perdu la confiance des députés constituants. Le Gabon, sous Oligui, est curieusement devenu le seul pays au monde où une Assemblée constituante aura été nommée pour ne pas constituer (écrire ou amender la constitution), et vous, députés de sa mangeoire, l’avez accepté sans broncher. En cela, vous êtes bien différents des députés français du Tiers-État qui, lors des États-Généraux convoqués par le roi, se constituèrent en Assemblée nationale contre la volonté du roi, déclenchant ainsi les processus qui devinrent connus dans l’histoire de France sous le nom de « Révolution française de 1789 ».

Autrement dit, Honorable, votre interprétation du rôle d’une Assemblée constituante ne repose sur rien de cohérent. Ce que vous devez, en réalité, dire est que les silences, tergiversations et inactions que vous et vos collègues entretenez devant cette situation trahissent plutôt vos complicités avec le système Oligui en construction. Rien n’a techniquement empêché que, comme avec le GPRF du général de Gaulle en France en 1945, Oligui et son CTRI ne vous donne les pleins pouvoirs tant législatifs que constituants. C’est le fait que vous ayez accepté sans broncher de servir de faire-valoir dans ce processus pipé qui constitue, en réalité, ce qu’il y a de plus scandaleux. Vous avez trahi votre pays pour ne pas perdre vos postes. Et c’est, au final, là que se trouve la vraie honte.

SUR LE DROIT AMÉRICAIN ET LES CRITÈRES D’ÉLIGIBILITÉ DU PRÉSIDENT AMÉRICAIN

Je note, Honorable, que vous comme beaucoup d’autres utilisez ces derniers temps l’Amérique comme exemple pour justifier l’injustifiable que vous essayez de faire avaler aux Gabonais. C’est ainsi que, pour défendre la xénophobie et l’exclusionnisme contenus dans l’article 53 de la Constitution que vous proposez, vous êtes encore sorti, ce 17 septembre 2024, pour affirmer l’énormité selon laquelle « Certains en commentaire estiment discriminatoire le fait d’exiger une résidence de 3 ans en continue… Aux U.S.A temple de la démocratie c’est au moins 14 ans, 5 ans en Guinée Équatoriale, etc. »

Honorable, Honorable, Honorable. NON, NON, et NON.

Avant que d’ouvrir la bouche, ou d’écrire, faites toujours, comme on a dû vous l’enseigner à l’école, un minimum de recherches. Si déjà, en tant que député, même nommé, de la Transition, vous n’avez, comme je l’ai montré ci-dessus, aucune idée des procédures législatives en terre gabonaise, ce ne sont pas celles de l’Amérique que vous pourrez maîtriser. Il est parfois mieux de se taire car il y a des gens qui vous liront et qui risquent de croire que c’est parce que l’information viendrait de l’Honorable Geoffroy Foumboula Libeka qu’elle est forcément vraie.

NON, Honorable. Arrêtons de semer les obscurantismes.

Comme beaucoup au sein du régime transitionnel que vous défendez aujourd’hui becs et ongles, à l’instar du ministre reconverti du pédégisme le plus abject qu’est la ministre de la Communication de votre Transition, vous vous activez depuis un moment, dans votre malhonnête tentative d’adouber un article 53 discriminatoire et xénophobe, à déformer la réalité américaine. Au passage, vous trahissez votre désir d’exclure la diaspora gabonaise de la gestion du pays au plus haut niveau. Et vous ne vous gênez même plus à ce titre, vous et les autres feudataires autoproclamés du roi incompétent, d’afficher publiquement votre ignorance des systèmes démocratiques du monde que vous prenez maladroitement en exemples.

Je veux bien que le petit million de salaire que beaucoup d’entre vous touchez pour la première fois de vos vies au sein de ce parlement des nommés puisse vous saouler l’esprit au point de vous faire divaguer, mais pas à ce point ! Où sont parties vos valeurs, les valeurs républicaines que, pendant un moment, nous avions cru vous voir tenter de défendre, au moment où les Bongo sévissaient encore sur ce pays ?

Laissez-moi donc, Honorable, analyser, pour votre gouverne, le fameux article 53 que vous semblez soutenir si vilainement, aux fins de vous montrer à quel point votre ignorance du système américain peut devenir déplorable et dangereuse pour notre pays, au moment où vous vous amusez, désormais, à défendre les indéfendables que, hier encore, vous fustigiez.

NAÎTRE AMÉRICAIN VS. NAÎTRE GABONAIS : Votre Article 53 tel que proposé dit que pour être éligible à la présidence de la République au Gabon, il faut être né « de père ET de mère gabonais, eux-mêmes nés gabonais ». La Constitution américaine n’applique nullement de formule aussi restrictive. La preuve : le père et la mère de Kamala Harris sont tous deux immigrants (le père vient de Jamaïque et la mère vient d’Inde). Ceci parce que la loi très permissive des Etats-Unis reconnaît le droit du sol (jus soli). Kamala étant née aux USA, donc en sol américain, elle est automatiquement éligible quel que soit le statut migratoire de ses parents. On ne va pas lui parler, dans ce cas, de parents nés américains.

La loi américaine va encore plus loin puisqu’elle reconnaît aussi le droit du sang : On naît américain dès lors que l’on naîtrait d’un SEUL parent américain. C’est ce qui explique que Ted Cruz, bien que né au Canada d’un SEUL parent américain (sa mère) et d’un père cubain, ait pu se porter candidat à la présidence des États-Unis. John McCain, qui était finaliste républicain face à Barack Obama en 2008 est né au Panama, de parents américains. Cela ne l’a pas empêché de devenir le nominé républicain. Barack Obama aurait pu naître au Kenya de sa mère américaine qu’il aurait toujours été éligible, grâce au droit du sang (jus sanguinis). Il y a une différence entre le droit américain et le kongossa populaire que vous criez partout sans prendre le temps de rechercher, au minimum, l’information à même de mieux éduquer les Gabonais. Vous abdiquez ainsi, pour quelques poignées de CFA, votre responsabilité. Qui est celle d’amener les Gabonais à un civisme éclairé et éduqué. Rien dans la loi américaine n’interdit à un Américain né à l’étranger d’un seul parent américain de briguer la présidence des États-Unis. Les conditions qui y sont attachées sont, en réalité, très souples, parce que l’Amérique, en tant que pays de migrants, a toujours tendance à errer vers les permissivités les moins restrictives (j’y reviens plus bas).

NATIONALITÉ EXCLUSIVE : Votre Article 53 tel que proposé dit que pour être éligible à la présidence de la République au Gabon, il faut « avoir la nationalité gabonaise unique et exclusive ». La loi américaine ne fait nulle part référence au besoin d’avoir la nationalité américaine exclusive. Ted Cruz est américano-canadien. Il a certes renoncé à sa nationalité canadienne, mais pas parce que la loi l’exige. Il y a renoncé simplement parce qu’il a voulu augmenter ses chances de devenir nominé face à une opinion publique souvent xénophobe qui, comme vous le faites actuellement au Gabon, ne sait pas faire la différence entre la loi telle qu’elle est écrite et le kongossa des bars où les bougies sont parfois prises pour des lanternes. Il y a des gens qui, par exemple, ont combattu Barack Obama en 2008, arguant qu’il avait une triple nationalité à sa naissance (Kenyan et Britannique par son père et Américain par son père). La Cour suprême américaine, dans une décision du 9 décembre 2008, avait refusé d’entendre les recours déposés par des xénophobes essayant de disqualifier Obama sur cette base, montrant ainsi que, à leurs yeux, le recours de ces requérants n’avait aucun mérite. Ils n’ont même pas voulu écouter leurs arguments.

Ceci montre aussi que l’Amérique fait plus souvent confiance à son opinion publique et aux médias qu’à des lois que l’on créerait sur base de xénophobie. Ce sont les médias, qui, en réalité, ont souvent amplifié des thèmes xénophobes et disqualifiants au niveau de l’opinion publique, mais dont beaucoup ne relèvent aucunement du domaine de la loi. Le système tel qu’il existe compte beaucoup plus, sur ce type de thématiques « dangereuses », sur l’électeur et non la loi, pour permettre à l’électeur de décider, de lui-même, s’il veut élire tel ou tel américain né à l’étranger de parent(s) américain(s) ou non. Tout ce que la loi américaine demande, c’est que l’on soit né américain, en sol américain ou à l’étranger, et les détails disqualifiant de la loi ne remettent pas en cause ce grand principe.

Le principe prévalent dans le système américain est, donc, au final, la reconnaissance explicite qu’un américain né en terre étrangère aura automatiquement la double nationalité et, donc, qu’il le veuille ou pas, aura tendance à se retrouver avec la nationalité du pays où il est né si ce pays, comme les USA, pratique le droit du sol. La loi américaine s’interdit donc généralement d’ôter son droit civique et politique à l’Américain simplement parce qu’il serait né à l’étranger ou aurait, en conséquence de cette naissance, la double nationalité. La question aux USA n’a jamais été de savoir si vous avez la double nationalité ou non. La question a plutôt souvent été de savoir si, au moment de votre naissance, vous pouviez être défini comme possédant la nationalité américaine par le droit du sol (jus soli) ou par le droit du sang (jus sanguinis).

Le ressenti de l’opinion publique américaine, qui réagit parfois aux choses par l’émotion du nationalisme ou de la xénophobie, ne fait donc pas, ici, loi. Ted Cruz n’a pas renoncé à sa nationalité canadienne pour se conformer à une loi interdisant la double nationalité aux candidats (la double nationalité est explicitement et juridiquement reconnue aux États-Unis), mais pour augmenter ses chances au niveau de l’opinion publique. L’Amérique laisse donc à l’opinion publique américaine de décider d’élire ou non quelqu’un qui aurait la double nationalité, si elle le veut. Mais la loi ne l’interdit pas explicitement.

ÂGE D’ÉLIGIBILITÉ : Votre Article 53 tel que proposé dit que pour être éligible à la présidence de la République, il faut être âgé de 35 ans au moins et 70 ans au plus. Quoique les USA disent également qu’il faille avoir 35 ans au moins, il n’y a rien qui limite l’éligibilité à 70 ans. L’Amérique ne fixe pas de limite supérieure. Je suis personnellement pour qu’il n’y ait aucune limite. Aux assises de Paris du 25 ami au 1erjuin 2024, nous avons pensé que la limite inférieure doit être 18 ans, comme en France et dans pas mal de pays européens. Si quelqu’un de reconnu comme Gabonais (non naturalisé) a l’âge et le droit de voter, on ne peut lui retirer le droit à l’éligibilité, les deux droits ne formant qu’un seul, en réalité, aux yeux de la loi.

MARIAGE DU CANDIDAT : Votre Article 53 tel que proposé dit que pour être éligible à la présidence de la République, il faut « être marié(e) à un(e) gabonais(e) né(e) de père et de mère gabonais ». L’Amérique ne pratique pas un tel degré de xénophobie dans sa loi. On ne brime pas un citoyen sur la base de la personne à laquelle il est marié. C’est discriminatoire et anticonstitutionnel car on ne peut remettre en cause la citoyenneté d’une personne sur la base du statut migratoire d’une tierce personne. Ceci va à l’encontre de tout ce qui peut constituer les protections fondamentales dues au citoyen. En faisant ceci, vous transformez, en fait, le Gabonais né gabonais en migrant au même titre que l’immigrant naturalisé puisqu’il devient citoyen au même titre que le citoyen naturalisé : il peut voter, mais se retrouve privé d’éligibilité aux plus hauts postes politiques de la République. Que vous, députés et sénateurs de la Transition, ayez accepté et cautionné une telle énormité en dit long sur le type de mentalité et d’immoralité, mais peut-être aussi d’incompétence législative, qui vous caractérisent, tous autant que vous êtes. Surtout quand, au final, on se rend compte que Donald Trump a servi en tant que président des États-Unis alors même qu’il était marié à Melania Trump, une étrangère.

CONDITION DE RÉSIDENCE : Votre Article 53 tel que proposé dit que pour être éligible à la présidence de la République au Gabon, il faut « avoir résidé au Gabon pendant au moins 3 ans sans discontinuité avant l’élection présidentielle ». Pour justifier cette exclusion, vous évoquez la loi américaine. Et votre confusion est d’autant plus grande que vous affirmez que « Aux U.S.A temple de la démocratie c’est au moins 14 ans » de résidence qui sont exigés. Ici, Honorable, vous déformez honteusement la réalité américaine. La loi américaine, contrairement à la vôtre au Gabon, demande que l’Américain qui serait né à l’étranger ait résidé au moins 14 ans aux Etats-Unis. Ces 14 ans, on les compte en totalité, c’est-à-dire qu’il faut avoir vécu un TOTAL de 14 ans aux Etats-Unis et en quelque période que ce soit. Il n’y a ici ni principe de continuité (résider 14 ans sans discontinuer) ni principe d’exiguïté (résider 14 ans avant l’élection présidentielle).

Autrement dit, pour comptabiliser les 14 ans, on va compter, dans n’importe quel ordre ou période, chaque jour que vous avez passé aux USA et à l’étranger pour voir si, au total, vous comptabilisez 14 années de passées aux Etats-Unis depuis votre naissance. Il n’est ici nullement question d’avoir résidé sans discontinuer aux Etats-Unis pendant 14 ans ou d’avoir résidé continuellement aux Etats-Unis au cours des 14 années précédant l’élection présidentielle. L’Article II, Section 1, Clause 5 de la Constitution américaine résume ainsi l’éligibilité à la présidence de la République en TROIS CRITÈRES très simples. Voici, pour vous, la traduction du texte constitutionnel : « 1) Aucune personne, à l’exception d’un citoyen né dans le pays ou d’un citoyen des États-Unis au moment de l’adoption de la présente Constitution, ne sera éligible à la fonction de président ; 2) de même, aucune personne ne sera éligible à cette fonction si elle n’a pas atteint l’âge de trente-cinq ans et 3) n’a pas résidé aux États-Unis pendant quatorze ans ».

Le « Pendant 14 ans » dont on parle ici ne veut pas dire ce que vous essayez de lui faire dire. Et rien dans ce passage définissant les conditions d’éligibilité ne parle d’avoir la nationalité américaine exclusive. On parle plutôt soit de naissance sur le sol américain (pour ceux qui y naissent) ou d’Américain « né d’un citoyen américain » (ce qui inclut l’Américain né à l’étranger).

PARLER UNE LANGUE LOCALE : Votre Article 53 tel que proposé dit que pour être éligible à la présidence de la République au Gabon, il faut « parler au moins une langue locale ». Mais vous ne définissez pas ce que vous appelez « langue locale ». C’est quoi une « langue locale » pour vous et à quel moment en avez-vous enseignées à l’école au Gabon pour en faire une obligation pour tous dans un pays où l’on peut aujourd’hui trouver des enfants nés au Gabon et ayant vécu toute leur vie au Gabon ne parlant pour autant couramment aucune langue autochtone ? Dans ce contexte d’absence de définition, le français ne serait-il pas, à strictement parler, lui aussi, une « langue locale ? » Vu que le français est la langue sans laquelle vous-même ne pouvez fonctionner en tant que pays, je me demande si vous ne voyez pas l’incroyable embarras dans lequel vous vous placez, avec une telle exigence nationaliste ?

Mais qu’à cela ne tienne. Il suffira de dire, ici encore, que les États-Unis ne vous serviront pas de bon exemple non plus, dans ce cas. Les USA, dans la pratique et légalement, ne se défissent pas, au plan fédéral, une langue officielle, même si certains États ont parfois essayé de le faire. L’anglais y est donc simplement parlé par héritage historique. Par ailleurs, si vous voyiez le degré de pénétration de l’espagnol aux USA, les xénophobes parmi vous en auraient l’AVC. L’Amérique a ses nationalismes, c’est vrai, mais ces nationalismes ne dépassent jamais guère les exigences du capitalisme et de la loi. Partout où vous allez aux USA, on traduit les textes juridiques en espagnol, les cours de justice s’assurent toujours d’avoir un interprète présent dans les procédures touchant les hispaniques, et les employeurs, cabinets médicaux et business en tous genres s’assurent toujours de pouvoir servir leur clientèle hispanique avec des employés parlant espagnols, au point que l’espagnol est aujourd’hui une langue socioéconomiquement intégrée dans le système américain.  Parler espagnol, et le bilinguisme, dans ce cas, deviennent souvent la clé pour trouver un emploi, aux États-Unis. Pourtant il n’est écrit nulle part que l’espagnol soit une langue officielle des USA. Les USA savent simplement s’adapter aux réalités de leur immigration, et c’est cette immigration qui fait la force et la domination américaine sur le monde.

ÉTAT PHYSIQUE ET MENTAL : Votre Article 53 tel que proposé dit que pour être éligible à la présidence de la République au Gabon, il faut « jouir d’un état complet de bien-être physique et mental dûment constaté par un collège médical désigné par la Cour constitutionnelle devant laquelle il prête serment ». Je puis vous assurer, Honorable, qu’une telle exigence serait anathème aux USA car discriminatoire au plus haut point. Elle ne peut être nulle part applicable aux USA, le pays où l’on respecte le plus les handicapés et où l’on peut aller en prison pour le type de langage discriminatoire que vous tenez dans votre honteuse proposition de constitution. Aux USA, les services et l’accès aux immeubles sont organisés spécifiquement pour servir les handicapés et leur faire comprendre que leur handicap physique ou mental ne doit pas faire d’eux des personnes inutiles pour la société. Aux USA, on laissera généralement le soin à l’électorat de se faire lui-même son opinion, mais on ne mettra pas de telles insanités discriminatoires dans la loi. Selon vos propres projets, des gens comme Marc Ona Essangui ne mériteraient jamais de diriger ce pays. Honte à vous !

DROITS CIVILS ET POLITIQUES : Votre Article 53 tel que proposé dit que pour être éligible à la présidence de la République au Gabon, il faut « jouir de ses droits civils et politiques ». Je veux bien, sauf que, dès le départ, il y a le fait que votre article parle de « droits civils » et non pas de « droits civiques ». Les droits civiques sont, pourtant, les plus importants en matière constitutionnelle car ils touchent directement à la citoyenneté, donc aux droits qui garantissent la participation du citoyen à la vie publique (droit de vote et d’éligibilité, liberté d’expression et autres droits fondamentaux). Les droits civils sont, quant à eux, des droits relevant de la sphère individuelle et privée, mais il n’y aura généralement aucune protection de droits civils dans un pays où les droits civiques ne sont pas protégés. En ce sens, les droits civils découlent des droits civiques et non l’opposé.

Il y a, par la suite, que tout votre article 53 va à l’encontre des principes de protection citoyenne et, à ce titre, serait inapplicable aux USA de par sa nature xénophobe et discriminatoire. Votre article, paradoxalement, vient infléchir ces « droits civils et politiques » que vous proclamez en établissant une hiérarchie inacceptable entre des Gabonais purs et des Gabonais impurs, des Gabonais sains et des Gabonais malsains. De telles considérations, aux États-Unis, mèneraient à l’appel à démission de toute personne qui en ferait la promotion, avec à l’appui des poursuites fédérales. C’est inique, inhumain, et inacceptable. Honte à vous !

DOUBLE NATIONALITÉ : Votre Article 53 tel que proposé dit que pour être éligible à la présidence de la République au Gabon, il ne faut pas bénéficier d’une double nationalité et il faut avoir renoncé à toute autre nationalité deux ans avant l’élection. Outre le fait que cet alinéa de votre article 53, ainsi que celui qui impose des conditions de résidence sans discontinuité de 3 ans avant l’élection, viole le principe juridique qui veut que la loi ne dispose que pour l’avenir et, par conséquent, n’ait point d’effet rétroactif, ces deux alinéas devraient également normalement être inapplicables dès lors que personne n’a devant lui ni les deux ans qu’il faut pour renoncer aux nationalités tierces ni les trois ans nécessaires au respect de la clause de résidence. Si nous étions dans un État de droit, ces deux clauses ne seraient applicables qu’à l’élection présidentielle de 2032, qui serait ainsi la seule à laisser, de manière prospective, aux Gabonais qui le souhaitent le temps et l’opportunité de se conformer aux dispositions de l’article 53. Mais au pays des arbitraires, vous voudrez comme à l’habitude appliquer arbitrairement et illégalement ces clauses de manière rétroactive, sur une période où ces lois et exigences n’existaient pas et, donc, ne s’appliquaient pas.

Mais comme l’Amérique, comme je l’ai démontré plus haut, reconnaît la double nationalité et n’a aucune loi forçant les candidats à la présidence à renoncer à leurs autres nationalités, ne prenez plus les États-Unis en exemple, Honorable. C’est le plus mauvais exemple que vous puissiez trouver car contredisant à tous les niveaux les énormités antidémocratiques insérées dans votre constitution démocraticide. J’en veux pour preuve les éléments suivants, qui, là encore, vous contredisent.

DISSOLUTION DU PARLEMENT : Le président américain n’a aucun pouvoir de dissolution du Congrès, qui est le parlement américain. Dans votre proposition de constitution, votre président-roi en conserve la capacité. Dans le système américain, le Congrès peut destituer DIRECTEMENT le président, alors que dans votre semblant de mise-en-scène de proposition, il faut passer par des contorsions juridiques tellement onéreuses et inutiles que la probabilité du parlement gabonais destituant le président est quasi nulle. Vous êtes une assemblée de malhonnêtes vendant aux Gabonais des illusions malhonnêtes.

NOMINATION DES JUGES CONSTITUTIONNELS : Le président américain, en réalité, ne nomme pas les juges constitutionnels. Il les propose et libre alors au Sénat américain d’approuver et, donc, de les confirmer. Le président, ici, a le droit de proposition et le Sénat le droit de confirmation. Ceci veut dire que sans l’approbation du Sénat, aucun juge constitutionnel proposé par le président américain ne peut être confirmé. Il y a donc ici une idée de la séparation des pouvoirs suffisamment claire et forte pour montrer que le président américain n’est ni un hyperprésident ni un monarque. La preuve en est que, une fois confirmés par le Sénat, le président perd tout pouvoir sur les juges qui deviennent automatiquement indépendants de l’autorité de nomination. Certes, les juges constitutionnels américains sont nommés à vie, mais la question ici n’est pas une question de nomination à vie ou pas, mais d’indépendance. Une fois nommés, le président ne peut plus rien contre eux et c’est grâce à leur indépendance qu’ils peuvent librement dire le droit.

 NOMINATION DES MINISTRES : Ici encore, le président américain ne nomme pas, mais propose. Comme avec les juges constitutionnels, il propose des ministres (appelés « secrétaires ») à la nomination, mais le Sénat américain peut approuver ou refuser. Le mot « nommer » est donc généralement mal utilisé car dans un tel contexte de pouvoir de nomination limité, le président américain reste impuissant devant un Sénat qui lui serait hostile.

DÉPENSES PUBLIQUES : le président américain n’a pas grand pouvoir de dépenser l’argent public comme il veut. Le Congrès doit approuver toutes les dépenses majeures et, donc, le président doit demander l’argent au Congrès pour espérer voir financés ses budgets. Le président américain ne distribue pas non plus de l’argent cash aux gens qui assistent à ses meetings, de peur d’être destitué pour corruption active de citoyens à des fins politico-électoralistes. Chez vous au Gabon, le président-roi a tous les pouvoirs, y compris le pouvoir de corrompre au grand jour et en toute impunité. Voilà pourquoi vous verrez que, presque tous les trois mois, le Congrès doit autoriser les dépenses gouvernementales qui font fonctionner le gouvernement, sans quoi, le gouvernement américain fermerait par incapacité de payer les employés fédéraux. Le Sénat, par exemple, vient d’approuver ce 25 septembre une mesure provisoire pour garder le gouvernement financé jusqu’au … 20 décembre 2024, avant de nouvelles négociations entre l’Exécutif et le Congrès pour la suite. C’est cela qu’on appelle les « checks and balances » américains. La démocratie américaine ne s’accommode tout simplement pas d’un président-roi qui déciderait, comme Oligui le fait en ce moment, de sortir l’argent des caisses de l’État, sans contrôle, pour financer en toute impunité sa campagne électorale, face à des députés et sénateurs atones, complices et mangeailleurs.

EXÉCUTIF MONOCÉPHALE : Beaucoup au Gabon veulent justifier le fait pour Oligui de supprimer le poste de Premier ministre parce que, aux Etats-Unis, l’Exécutif serait monocéphale et le président y serait à la fois chef de l’État et chef du gouvernement. Sauf que, comme je viens de le démontrer plus haut, les pouvoirs du président américain sont profondément limités par le Congrès et la Cour suprême, ce qui rend assez inoffensif le président américain, même quand, comme Donald Trump, il aurait des velléités autocratisantes.

Donc, Honorable, vous avez tout faux ; vous avez tous faux.

Le président américain est, en réalité, confronté à un système parlementaire tellement fort qu’il lui reste très peu de marges de manœuvres pour échapper au contrôle du Congrès et de la Cour suprême. C’est ce qui me fait souvent dire que quoiqu’il paraisse présidentiel, le système américain est, en réalité, fortement parlementaire. Les juges et les membres du gouvernement doivent tous passer par le filtre du Congrès, notamment du Sénat, lors d’audiences publiquement télévisées, pour être confirmés. Dès lors, le vrai pouvoir du président américain n’existe que quand il a la majorité dans les deux chambres du Congrès, et si et seulement si son propre congrès ne lui est pas hostile. Il suffit par contre que son parti perde une des deux chambres du Congrès pour que son pouvoir de gouvernance devienne un enfer. Ceci est très loin du système monarchique et hyperprésidentialisé que vous voulez instaurer au Gabon. Richard Nixon avait dû démissionner en 1974 pour cause du scandale de Watergate, pour éviter la destitution par le Congrès démocrate de l’époque. Cessez donc d’utiliser l’Amérique comme exemple pour vos forfaitures. Votre exemple, c’est la Corée du Nord, la Chine ou la Russie de Poutine, où les hommes forts règnent en maîtres absolus devant des parlements transformés en mangeoires et des députés mangeailleurs.

Honorable, honorable, honorable !

Je vous interpelle, vous et tous les autres. Ressaisissez-vous !

Votre tendance actuelle à défendre l’indéfendable, à entériner ces choses que, hier, vous-même et d’autres auriez vous-mêmes combattues, vous rend dangereux pour le Gabon de demain que nous voulons construire. L’on peut comprendre que vous vouliez faire partie du système Oligui en construction, et y remplacer les Billié-by-Nzé comme nouveaux chantres de l’indécence institutionnelle, c’est votre droit.  Vous souhaitez peut-être aussi continuer à gagner le million de salaire que l’on vous paie ainsi que les faveurs y attenantes, c’est votre droit aussi. Mais le citoyen lambda que je suis vous interpelle, pour vous ramener à la raison : ne tuez pas le Gabon simplement parce que vous voulez élever l’homme qui vous permettra de conserver vos postes et vos avantages au-delà de la Transition, ou parce que vous haïssez ceux de la diaspora que vous souhaitez éliminer de la course à la présidence, comme si vous vouliez les punir pour des crimes qu’ils n’ont jamais commis. Votre proposition de constitution est un hors-sujet monumental. Mais, dans le long terme, il condamne notre pays à la déchéance et à la banqueroute.

La question la plus fondamentale à laquelle, en tant que parlementaire, vous devriez vous atteler est la suivante : Cet article 53 tel que proposé permet-il de répondre à la question de savoir pourquoi rien n’a marché au Gabon pendant les 56 ans de bongoïsme que nous venons de traverser ? Vous savez très bien, Honorable, que ce serait un gros hors-sujet que de dire aujourd’hui que si rien n’a marché pendant 56 ans au Gabon, ce serait parce que des Gabonais, quelque part, se seraient mariés à des étrangers, auraient obtenu la double nationalité, ou n’auraient pas résidé 3 ans au Gabon avant l’élection.

En faisant un tel raisonnement, vous savez très bien que vous vous mettez en hors-sujet de la vraie problématique gabonaise qui, elle, dit que si rien n’a marché au Gabon pendant 56 ans, c’est parce que le Gabon a, en réalité, souffert de son hyperprésidentialisme. Nous avons voulu faire de nos présidents des rois et, comme conséquence de cette tendance, leurs épouses sont devenues des reines avec des pouvoirs de nuisance et prérogatives nulle part consignées dans la Constitution. Ces épouses sont devenues des monstres non pas parce qu’elles étaient étrangères, mais plutôt parce qu’elles ont bénéficié et profité des vides juridiques entretenus par les régimes en place, les mêmes qui existent encore aujourd’hui  sous Oligui, et que votre proposition de constitution ne vient même pas effleurer.

On le voit d’ailleurs déjà : pour cause de polygamie, votre nouveau président-roi a fait valider le financement des deux fondations des premières dames par l’État. Que l’on soit une épouse étrangère ou pas, quand l’État commence à se mêler d’élever les premières dames au statut de superdames, ce n’est pas d’une Sylvia Bongo que vous hériterez, mais, cette fois, de deux. Une femme n’a pas besoin d’être étrangère pour abuser du manque d’encadrement juridique qui, sous Brice Clotaire Oligui Nguema, montre déjà que les premières dames gabonaises continueront à être des reines jouissant de pouvoirs et prérogatives de nuisance qui, quoique non écrits dans la Constitution, en feront néanmoins des monstres aux côtés de leur époux tout aussi monstrueux. Il n’y a rien aujourd’hui, dans votre constitution, qui force la transition et l’intérim après l’incapacitation du président. Ce que Sylvia Bongo a pu faire hier, Zita Oligui Nguema et Anouchka Avome Oligui Nguema pourront le faire car vous avez, là encore, évité de toucher à la question fondamentale : qu’est-ce qui a fait que l’on sot incapable de déclarer la vacance du pouvoir au Gabon en 2018 et qu’est-ce qui a fait que Sylvia Bongo ait pu se substituer à son époux pour diriger le Gabon par régence pendant 5 ans là où, pourtant, les institutions auraient dû déclarer la vacance du pouvoir, la déloger de là et organiser de nouvelles élections ?

Honorable :

La réponse à la débâcle nationale sous les Bongo ne demandait en réalité qu’une seule chose comme solution : il fallait réduire les marges d’hyperprésidence qui ont permis aux Bongo de sévir avec impunité pendant 56 ans. Or, sur ces points, vous bottez en touche en laissant au président la capacité de dissoudre le parlement, de continuer à nommer les magistrats, de continuer à présider les cours de justice, de continuer à présider le Conseil Supérieur de la Magistrature, de devenir, seul, détenteur du pouvoir exécutif en supprimant le poste de Premier ministre, de supprimer les commissions électorales indépendantes, et j’en passe. Vous avez, en réalité, affaibli l’État de droit pour introniser un roi tout puissant à la tête de la République.

Ce sont pourtant là les maux constitutionnels qui ont comprimé la capacité du Gabon à aller vers une démocratie qui ne dépendît plus de la volonté d’un seul homme. Vous semblez avoir laissé cela de côté pour, plutôt, adopter, avec votre article 53, des mesures hors-sujet visant à exclure la diaspora de la présidence de la République, sans pour autant démontrer à quel moment un homme ou une femme de la diaspora a dirigé ce pays pour que, tirant des leçons de sa débâcle, l’on veuille fermer la voie de la présidence à la diaspora.

Répondre à une question, Honorable, c’est répondre à un problème. Or, pour tout problème, il faut une réponse logique. Ce n’est pas la diaspora qui a tué le Gabon, mais bel et bien ceux qui, sur le terrain, pendant 56 ans, ont voulu créer des systèmes-mangeoires qu’ils ont par la suite voulu protéger becs et ongles, un peu comme vous le faites en ce moment en devenant complice du régime de dictature en préparation.

Ce que l’on attend, au final, de vous et de tant d’autres qui jadis combattaient pour les droits citoyens, Honorable, est l’affirmation des valeurs républicaines les plus permissives possibles. La Constitution du 26 mars 1991 reste, à ce titre, le seul modèle de permissivité qui soit attesté dans notre longue marche tortueuse, mais pour le moment infructueuse, vers la démocratie. Parce que beaucoup mieux réfléchie par nos aînés, cette constitution de 1991 n’a jamais été conçue pour empêcher telle ou telle catégorie de Gabonais de devenir présidents de la République. Elle n’a pas non pas segmenté les Gabonais en demis Gabonais ou Gabonais purs et impurs. Bien au contraire, elle a permis la reconnaissance tant du droit du sol que du droit du sang et a limité les mandats présidentiels à 5 ans renouvelable une fois. Elle ne fut, certes, pas parfaite, vu qu’elle limitait de 35 à 70 ans l’âge d’éligibilité et ne permettait aux descendants des immigrés de devenir éligibles qu’à la 4e génération. Mais quand on la compare à ce qui a été proposé par votre génération, c’est le jour et la nuit.

Et là où l’on attendait des débats vigoureux dans votre Assemblée, il n’y en a eu aucun. Pire, votre fameuse Assemblée constituante s’est révélée une honte nationale dans son incapacité à exiger des autorités de la Transition qu’elles donnent, au moins, aux Gabonais, une autre option que le OUI à une constitution inique.

Dès lors :

Si vous voulez sauver le Gabon, faites campagne non seulement pour le NON, mais proposez que l’on donne aux Gabonais une alternative, en cas de victoire du NON. Vous pourriez dire aux Gabonais, par exemple, que voter NON ne veut pas dire voter contre Oligui. Voter NON veut dire refuser ce scandale national que l’on appelle proposition de constitution. Vous pourriez aussi devenir la tête de proue d’une tendance au parlement qui proposerait plutôt que, en cas de victoire du NON, l’on revienne automatiquement à la Constitution du 26 mars 1991, qui jadis fit l’unanimité de la classe politique tout en amenant la nation à une forme de consensus institutionnel que ceux de 1990 reconnurent comme acceptable.

Il vous appartiendrait alors, Honorable, de non seulement vous opposer bruyamment à la proposition actuelle, mais aussi de demander aux Gabonais de voter NON au référendum, tout en demandant qu’en cas de triomphe du NON, la constitution du 26 mars 1991 soit immédiatement appliquée et les élections d’août 2025 organisées sur cette base.

Mais même à cette petite tâche de sauvetage national, vous avez failli, Honorable.

Hélas.

Pr Daniel Mengara
Congrès des Citoyens Libres (CCL)
Candidat déclaré à l’élection présidentielle d’août 2025


NOTE: Ce document est également disponible sous forme de PDF, ici: LETTRE_OUVERTE_DU_Pr_DANIEL_MENGARA_A_HONORABLE_GEOFFROY_FOUMBOULA.pdf

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